A partir des cartographies numériques réalisée pour chaque conférence, trois cartes d'édition ont été produites à l’échelle du Grand Paris, pour représenter chaque thématique du cycle : logistiques urbaines, économies immatérielles, territoires d’industrie. Ces cartes ne prétendent pas à l’exhaustivité mais cherchent à replacer les trois territoires étudiés dans le contexte métropolitain de la thématique. Un travail d'illustration a été réalisé pour évoquer les échelles nationales, européennes et mondiales indispensables pour comprendre les métabolismes métropolitains. Ainsi, la logistique métropolitaine ne peut être penser sans son rapport au port du Havre ou au Min de Perpigan qui envoie chaque jour fruits et légumes par train pour nourrir la région capitale. De même les économies immatérielles, qui sont prises dans des réseaux numériques traversant le monde entier, sont très énergivores et sont directement liées à la boucle haute-tension qui achemine l'électricité depuis la centrale nucléaire de Flamanville. L'industrie de la construction francilienne, quant à elle, importe par péniches du sable dragué au large des côtes françaises ou dans les sablières en aval de la Seine, alors que les pales d'hélicoptères produites à Dugny sont assemblées sur l'aéroport de Marignane.
Pour pouvoir avancer dans la construction collective de la métropole, nous avons besoin d'outils de compréhension du territoire, de son métabolisme, des désirs de ses habitants... C'est par le langage spatial des cartes, que l’urbanisme s’exprime, organise son discours, pour donner à voir la ville dans sa matérialité, pour rendre visible ce qui ne l'est pas et exposer les rouages internes de son fonctionnement, pour enfin constituer un support de projection permettant d’imaginer la ville à faire advenir.
Si l’objectivité scientifique de la carte est revendiquée comme garant de la véracité de son image du réel, les choses ne sont pas aussi simples. La correspondance entre carte et territoire cartographié n’est pas aussi directe, car ce qui y est exclu est aussi significatif que ce qui y est dessiné. Si l'on est conscient que la carte n’est pas le territoire, notre perception de celui-ci reste fortement influencée par les modes de représentation cartographiques. Et si la forme même du monde habité est le produit des décisions aménageuses, cette forme et ces décisions sont bornées par les formats spécifiques d’expressivité graphique de la carte. Même le point de vue de la carte est ambigü : il n’est pas uniquement spatial mais tout autant idéal – exprimant inéluctablement les conceptions de ceux qui l’ont réalisé. Enrico Chapel, en exposant la naissance de la cartographie statistique comme support et justification de l’urbanisme fonctionnel de la modernité, montre comment la carte, « résultat d’un idéal de précision et d’objectivité, porte en même temps l’empreinte des préoccupations et des valeurs de son temps ».
La métaphore de la ville comme organisme dont la carte met à plat l’anatomie est ancienne. La planification fonctionnelle et ses cartes de zonage, en pensant la ville comme une composition simpliste de zones d’activités, et la circulation uniquement par la fluidification des connexions entre ces zones, a réduit cette métaphore organique à son strict minimum : un état statique de stockage des hommes dans des endroits dédiés à des activités. En résultait une dévitalisation de l’espace urbain. Différentes voix s’élevèrent alors pour porter des visions d’un monde ré-humanisé. On peut citer Guy Debord et les Situationnistes qui cartographièrent alors, par l'analyse psychogéographique, les affects suscités par différents quartiers de la ville.
La métaphore du métabolisme permet d’enrichir l'appréhension d’un urbain mis à mal par sa réduction à une collection d’organes objectivés selon leur seule matérialité. Métabolisme sous-entend un organisme dans un état dynamique – c’est ce qui se produit, la performativité du système, qui donne toute sa signification à la disposition spatiale des composants de l'organisme. Ainsi, cartographier la ville comme métabolisme sert à faire voir la multitude de processus qui y ont cours, et le réseau d’éléments territoriaux qui constituent leur support – les flux et les transformations, les entrants et les sortants, les productions et les consommations... Représenter le métabolisme met alors les habitants en situation en tant qu’acteurs du territoire, instruments de sa valorisation, avec, toutefois, l’invisibilité de ceux qui y sont exclus.
Depuis la consultation internationale de 2008, les équipes du Conseil scientifique de l'AIGP ont produit énormément de cartes qui ont permis de décaler le regard sur de nombreuses questions. Il en résulte un copieux atlas, outil de compréhension du Grand Paris et de ses possibles, qui reste difficilement déchiffrable et utilisable par les acteurs métropolitains. En cause, non pas un manque de rigueur de la part de ses producteurs, mais des caractéristiques inhérentes à un mode de fabrication. Les cartes produites sont souvent hybrides, assemblant des données objectives issues des différents instituts qui mesurent la métropole et des éléments subjectifs projetés, liés à une pratique du terrain et du projet. Une même situation peut être représentée de différents points de vue, donnant une image cubiste d'un territoire aux multiples facettes. Les échelles de représentation ne sont pas fixes et varient d'une carte à l'autre, du quartier au monde.
Ces travaux peu orthodoxes témoignent de pensées créatives globales et empiriques pourtant nécessaires pour entrer dans la complexité métropolitaine. Comment faciliter au public l'entrée dans ce jeu en 4D, dans cette navigation entre le territoire et ses représentations, et créer un outil partagé de communication et de débat ? Dans les années 1960, l'architecte Buckminster Fuller imaginait le World Game, un projet de cartographie interactive pour faire participer les acteurs du monde à des simulations du mouvement des ressources et des biens de l'espace industriel international. Les systèmes d'information géographiques, et les réseaux de communication désormais disponibles, offrent à travers des sites comme Google Maps® ou Openstreetmap les fonctionnalitées rêvées par Fuller. Depuis 2010, l'AIGP s'est engagé dans la production de cartes expérimentales utilisant ces supports. Pour les six premières soirées du cycle “Métabolismes de la métropole”, des cartes ont été conçues afin d'accompagner les débats. En se basant sur les données des intervenants, l'objectif était de construire un dispositif de communication intégré qui propose une visite guidée dans le métabolisme des territoires, mais soit aussi ouvert à la dérive dans le dédale de la photo aérienne et des “street-views”.
Un tel dispositif mériterait d'être poussé et enrichi de données, afin de créer l'image la plus fidèle des métabolismes métropolitains. Cependant, elle serait le reflet d’un monde hypermoderne devenu terriblement efficace dans son fonctionnement économique, où “l'utilité” de chaque être est cantonnée au niveau de sa performativité en tant qu’agent économique. Force est de constater qu’il faut maintenant replacer les gens sur la carte, en cartographiant leurs lieux de vie et leurs conditions d’habitabilité. C'est l'objectif de la plateforme cartographique "Mon Grand Paris" où les habitants peuvent faire savoir et faire valoir leur droit à habiter des lieux de qualité.